Giulia Andreani, La Concierge
Scène d’hommes, des militaires au garde à vous posant en grand uniforme devant l’Hôtel de Ville de Montrouge en 1919. Giulia Andreani a offert à la Ville cette peinture qu’elle a réalisée en résidence à Montrouge
La toile Concierge est le résultat d’un travail en collaboration avec le service des Archives de la Ville. Un document daté de 1919 a surgi de façon inattendue alors que nous étions en train de reclasser de vieux clichés. Abîmée et oubliée, la photographie représentait une parade de militaires lors du grand «défilé de victoire» du 14 juillet 1919, comme l’indique une inscription située sur le passe-partout qui encadre l’image. Les hommes posent sérieux. Ils sont sur le parvis de l’Hôtel
de Ville de Montrouge.
Faire remonter l’Histoire à la mémoire
Ce que j’ai voulu réaliser, c’est analyser ce groupe compact d’hommes qui posent en uniformes. J’ai recadré l’image pour en faire une peinture en me focalisant sur un double punctum. Un homme qui tourne la tête vers la droite ; tel un mauvais élève, il semble faire la causette avec ses voisins. Petit et rond, on le dirait mal à l’aise au coeur de cet attirail militaire.
Toujours à droite, une autre scène dans la scène se déroule : une femme, en position périphérique cachée, scrute le groupe de derrière les barreaux d’une fenêtre. Elle devient le protagoniste de ma peinture. J’ai voulu penser qu’elle était la gardienne de l’immeuble comme dans l’imaginaire de l’époque romaine, le genius loci, l’esprit des lieux. Elle aurait pu être la concierge, entendue comme la personne qui gère le bâtiment, celle qui habite au rez-de-chaussée et qui discrètement voit défiler les gens dans les aller-retours quotidiens.
Un symbole féministe
Ce personnage féminin devient pour moi un symbole. Beaucoup de femmes ont été actrices ou plutôt figurantes dans l’Histoire de 14-18. Si le terme de concierge semble avoir une connotation négative en français, langue qui n’est pas ma langue maternelle*, cette présence fantomatique qui surgit de l’ombre peut paraître étrange et inquiétante, reste pour moi plutôt bienveillante. Peut-être qu’elle attend son tour pour passer du côté lumineux de l’Histoire, faire partie de la « fête », peut-être qu’elle se moque de ces hommes qui se fatiguent à poser, peut-être qu’elle comprend que c’est absurde, que dans la guerre tout le monde est vaincu et qu’il y a rien à fêter…
Des visages flous, une teinte unique
Le « floutage » des visages me permet de jouer comme avec une ouverture de diaphragme pictural sur l’image : il permet des degrés de finition différents dans la composition pour accompagner le regard du spectateur d’un endroit à l’autre de la composition. Les coulures au contraire, ne sont pas un effet pictural voulu mais un résultat de l’utilisation d’une peinture acrylique diluée qui dégouline lorsqu’elle est appliquée sur la toile en position verticale.
Pour faire resurgir des visages de nos mémoires collectives, j’emploie une tonalité unique, le gris de Payne, un gris foncé qui tend au bleu plus fréquemment utilisé en aquarelle. Couleur qui évoque les vieux écrans de cinéma, les coupures de journaux, les albums de famille.