Antoni Taulé, Laboratoire d’entente
Ce tableau acquis par la ville de Montrouge en 1994 est une oeuvre ouverte… vers l’intérieur
Une inquiétante étrangeté qui nous frôle. Comment ici ne pas penser aux toiles d’Edward Hopper où l’ultra-réalisme d’un environnement décor vient gober les êtres figés dans leur posture, comme absents. Dans cette toile où le clair-obscur se mêle à une composition froide, l’on aurait envie de lancer le terme d’« hyperréalisme baroque ». Pourtant, ce sont des peintres surréalistes tels Giorgio de Chirico et Paul Delvaux qu’Antoni Taulé convoque pour expliquer son travail. Son oeuvre s’augmente alors d’une interrogation métaphysique assumée.
Ce tableau acquis par la ville de Montrouge en 1994 est une oeuvre ouverte… vers l’intérieur.
Acte 1
Il y a cet intérieur bourgeois et cet homme assis seul à sa table en direction de la fenêtre. Un intérieur classique fait de colonnades et de moulures décoratives. Décor imposant et pourtant vide de tout mobilier, hormis cette table simple recouverte d’un drap de velours ocre.
L’homme roux emmitouflé dans un épais manteau scrute fixement au loin, devant lui. Serait-ce ici, à cet instant que se joue l’acte premier du grand théâtre qu’est la vie ? L’homme est engagé dans un face à face. Il défie la lumière depuis l’intérieur.
À travers la description de cette toile peinte par Antoni Taulé figurent trois éléments propres à la signature de l’artiste.
1.L’architecture intérieure
Architecte de formation, Antoni Taulé a une perception forte de l’espace intérieur considérant « qu’une fois dedans on est comme à l’intérieur de soi ». Il précise : « pour moi, l’architecture c’est les yeux. C’est l’endroit d’où on regarde, la fenêtre ouverte. Cette ouverture renvoie à la psychologie, à l’anthropologie, aux relations entre soi et les autres. »
2.La lumière
L’artiste qui creuse ses sujets, s’y attache, place ses oeuvres au sein d’une série. Antoni Taulé précise : celle-ci fait partie d’une série caractérisée par un contre-jour avec un personnage ou non. Avant, il y a eu avant la série Contrejour, puis Le double et son modèle, puis encore Identité/altérité. À chaque fois, il s’agissait de montrer la confrontation entre l’extérieur et l’intérieur.
3.La figure humaine face au vide
Une composition stricte où le personnage est au coeur, la mise en perspective centrale. Le personnage n’est autre qu’un ami de l’artiste : Antonio Ségué, le modèle. «Le tableau fut réalisé au début des années 80 d’après une photo. J’ai toujours aimé rendre hommage à mes amis peintres » évoque l’artiste.
Des strates de réalités ouvertes
« C’est une construction. D’abord une captation de la lumière, puis, je place un témoin. Tout existe, la présence est caractérisée par le témoin mais sans lui ça existe aussi. Il y a de toute façon un esprit, un fantôme qui est là, qui plane. D’ailleurs, certains spectateurs ont peur lorsqu’il n’y a pas de personnage. (Il rit). Ce n’est pas que je cherche à les effrayer. En fait, je ne cherche jamais un effet, ça ne marcherait pas sinon. Je pose une question sur une autre question. Je pose l’éternelle question, c’est ce qui m’intéresse. »
Démarrée dans les années 60, son oeuvre déjà empreinte de paysages est aujourd’hui « plus tournée vers l’extérieur. Il s’agit de paysages vraiment désertiques, vraiment plats. Je peins les horizons, j’essaie de voir à travers les ouvertures, plus on peut aller loin à l’extérieur plus on peut aller loin à l’intérieur, c’est un principe cosmique. »